Les villes, laboratoires climatiques

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Trop minérales, trop artificialisées, trop étendues, trop encombrées, les villes sont souvent mal adaptées à la radicalité de l’évolution du climat. Un héritage dont elles cherchent aujourd’hui à s’extraire. Directrice de l'urbanisme et du design du réseau C40, qui regroupe des villes cherchant des solutions face à la crise climatique, Hélène Chartier nous explique comment on en est arrivé là et comment en sortir.

Au sortir de la guerre, les villes européennes ont entamé un double mouvement. Elles se sont étendues et se sont faites fonctionnelles, compartimentant les usages entre les lieux d’habitation, de travail, de loisir et de consommation, faisant au passage peu d’égard aux espaces laissés à la nature et aux lieux collectifs. De ce parti pris découlent des problèmes auxquels les villes sont désormais confrontées. « L’Europe est aujourd’hui championne du monde de l’étalement urbain. Depuis les années 2000, elle a même dépassé l’Amérique du Nord » alerte Hélène Chartier. « Ça n’a pas pour autant amélioré la qualité de vie des gens ».

La ville vulnérable

En allongeant les distances, fabricant des zones résidentielles et généralisant l’usage de la voiture qui va avec, on a fabriqué des villes émettrices de CO2, à la merci des épisodes de canicule, des précipitations extrêmes et de la pollution urbaine. Elles sont aujourd’hui responsables de 60% à 80% de la consommation énergétique et de 75% des émissions de carbone. Selon Hélène Chartier, la principale erreur de la ville moderne européenne est de s’être bâtie à contresens de son histoire. « Si on regarde les centres-villes européens comme on les connaît de Prague à Paris, Rome ou Londres, on est dans des modèles qui sont assez compacts. » rappelle-t-elle. En s’étendant, les grandes capitales européennes ont bâti leur propre source de vulnérabilité. « On estime que la nature et les espaces perméables ont diminué de 30% depuis 1990. En enlevant la nature en ville, on a finalement supprimé leurs meilleurs alliés pour réduire les effets du changement climatique. Les sols perméables et la végétalisation sont des espaces naturels de séquestration du CO2, absorbent l’eau, et apportent de la fraîcheur. »

Changer les trajectoires

Les moyens pour changer cette trajectoire néfaste sont connus : optimiser l’espace, rebâtir des espaces communs de circulation libre, désartificialiser et revégétaliser les centres-villes, densifier plutôt qu’étaler en construisant la ville sur la ville. « Les experts climatiques, comme le GIEC ou l’IPCC, estiment qu’adopter de nouveau un bon modèle d’urbanisme pourrait réduire les émissions carbone de 25% d’ici 2050 » rappelle Hélène Chartier. « La renaturalisation urbaine s’affirme comme un levier clé pour favoriser la résilience et l’adaptation au changement climatique et pour assurer la préservation du cycle de l’eau ou la gestion des risques naturels sur les territoires ». Mais la ville est aussi un lieu de confrontation entre volonté d’attractivité du territoire, intérêts économiques des développeurs et de la promotion immobilière, désirs d’habitat individuel et besoins de mobilité. Des forces contradictoires qu’il faut canaliser.

Quand la ville se copie

Face à ce constat, les métropoles s’organisent avec leurs ressources et leurs spécificités en végétalisant l’espace autrefois réservé à la voiture, réhabilitant les espaces communs et hybridant les usages des bâtiments. Les moyens sont multiples : structures d’ombrage dans les rues passantes à Singapour, Tel-Aviv ou Barcelone. Principe de « rues aux enfants » libérant les voies des congestions automobiles à Paris, Londres ou Milan. Réhabilitation d’infrastructures comme sur la Piazzale Loreto, à Milan, un rond-point routier transformé en place carrefour intégrant en son centre des commerces, des activités culturelles et un nouvel espace vert. Instauration des « superblocks » à Barcelone, repoussant la circulation automobile en périphérie de blocs de 4 à 5 rues afin de redonner l’espace central aux piétons, aux cyclistes et aux usages collectifs. « Les villes se copient avec des capacités budgétaires différentes. Et ça, c’est très bien. » précise Hélène Chartier. « À chaque fois qu’on apporte de la végétalisation dans la ville et de l’ombrage, on arrive à faire descendre la température de 3 à 4 degrés lors des pics de chaleur, comme cela a été mesuré après la mise en place des corridors verts à Medellín, en Colombie ».

Planifier la ville durable

Mais la ville ne change pas seule. Elle a besoin de contraintes. À Paris, le Plan local d’urbanisme bioclimatique, voté en 2024 après quatre années de concertation, symbolise cette intégration des enjeux climatiques dans la planification. Il fixe un cadre strict pour sanctuariser les espaces verts et désimperméabiliser les sols. Il limite les démolitions au profit de la réhabilitation et de la conversion des bâtiments, impose des matériaux de construction bas-carbone et conditionne la densification de l’habitat à des critères sociaux et environnementaux. « On n’a pas le choix. Il faut réglementer. Et il faut le faire vite sans rien lâcher » conclut Hélène Chartier. Reste que cette réglementation doit faire en sorte que la ville demeure un lieu intégrateur, qui ne laisse personne sur la touche. Dans le cas contraire, elle aura raté sa mission. « C’est pour cela que le C40 parle d’actions climatiques inclusives et encourage les villes à intégrer des objectifs de production de logements sociaux dans leur planification bioclimatique. » conclut Hélène Chartier.