“Nous sommes tous conscients de l’importance du secteur de la construction et de l’immobilier dans le contexte du changement climatique » 

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    Vice-président, Réseau européen du World Green Building Council (WGBC)

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Le World Green Building Council (WGBC) est composé d’un réseau de Green Building Councils (GBCs) et de partenaires. Ensemble, ces acteurs accompagnent les marchés immobiliers et de la construction à travers le monde à développer des bâtiments et des villes durables et résilientes. En France, ce réseau est incarné par l’Alliance HQE-GBC, issue de la fusion de l’association HQE et de France GBC il y a plusieurs années. Entretien avec Richard Teichmann, vice-président du réseau européen du WGBC.

Pouvez-vous recontextualiser l’action du Green Building Council (plus spécifiquement son action européenne) ? 

Les Green Building Councils ont été créés dans les années 1990/2000 afin de promouvoir la construction durable. En tant qu’organisations à but non lucratif, ils réunissent des experts issus des domaines de l’architecture, de la construction, de l’industrie et des pouvoirs publics. Dans certains pays ils élaborent ou concourent à l’élaboration des normes et des systèmes de certification, et souhaitent favoriser des changements politiques et efficaces sur le marché. 

Le World Green Building Council (WGBC) a été fondé à Toronto en 2002 afin de mettre en réseau ces initiatives nationales à l’échelle mondiale. Les premiers contacts entre le Canada, les États-Unis et l’Australie ont donné naissance à une ONG mondiale regroupant 80 GBC. Avec ses programmes sur la neutralité climatique, la santé, l’économie circulaire et la justice sociale, le WorldGBC est une plateforme mondiale d’échanges et de partage de stratégies. Cinq régions du monde (Afrique, Amériques, Asie-Pacifique, Europe et MENA) sont présentes au siège social à Londres.  

Je suis vice-président du Réseau régional européen (ERN) du WGBC à titre bénévole depuis deux ans, et je peux affirmer avec fierté que c’est en Europe que nous avons le plus grand nombre de GBC et de membres. Nous sommes leaders mondiaux dans de nombreux domaines (par exemple, les matériaux de construction ou la taxonomie). 

Quand ce besoin « d’organiser l’harmonisation » s’est-il fait sentir ? 

Le changement climatique d’origine humaine est un problème mondial auquel nous devons tous, sans exception, y compris l’Assemblée Générale des Nations Unies, nous attaquer.  

En tant que promoteur immobilier commercial, j’ai cofondé l’ÖGNI (le Conseil autrichien du bâtiment durable) à Vienne il y a plus de 15 ans ; parallèlement, nous avons par exemple utilisé l’énergie géothermique et des pompes à chaleur (françaises, soit dit en passant) dans notre projet dans l’Est de la Slovaquie dès 2009, prouvant ainsi que l’économie et l’écologie ne sont pas nécessairement contradictoires. Malheureusement, le secteur de la construction n’est pas forcément tourné vers l’innovation, il est par définition régional et souvent très réglementé. C’est pourquoi j’ai soutenu les GBC dans plusieurs pays et je suis convaincu de l’importance de l’harmonisation, tant au niveau régional, national que mondial.  

Le WGBC est le meilleur exemple de cette magie mondiale-locale ; les GBC peuvent apprendre les uns des autres, influencer leurs réseaux et leur environnement politique, et finalement s’impliquer dans de grandes conférences internationales.  

Comment évoluent les pays européens aujourd’hui en matière de démarche environnementale et de décarbonation des bâtiments ?  

À mon avis, la taxonomie européenne a changé la donne en attirant l’attention des grands investisseurs immobiliers et des institutions financières le sujet de la décarbonation. En tant qu’entrepreneur, je ne suis pas partisan d’une réglementation excessive et rigide. J’estime qu’une réglementation plus souple, élaborée en concertation avec les acteurs du secteur, favorise une mise en œuvre plus efficace et de meilleure qualité, contribuant ainsi à un développement urbain et régional réussi, ainsi qu’à la construction de bâtiments sûrs et sains.  

Va-t-on vers plus d’harmonisation des processus ? Reste-t-on dans des approches plutôt nationales/locales ? 

Je ne pense pas que nous serons en mesure d’harmoniser les processus à travers l’Europe ; je pense notamment à la loi ZAN (Zéro artificialisation nette), qui serait politiquement impensable en Autriche ou en Allemagne, avec leurs structures fédérales. Néanmoins, je suis convaincu que les objectifs en particulier seront harmonisés, ainsi que la mesurabilité et la comparabilité, bien sûr. 

L’un des moments forts de mon travail pour le WGBC a été le Forum mondial Bâtiments et Climat qui s’est tenu à Paris en mars 2024. La France a soutenu l’initiative « Buildings Breakthrough » après la COP28 et a invité 1 500 délégués à discuter de solutions et de mesures concrètes, et à adopter la Déclaration de Chaillot[1].

Comme modèle de réussite concret des GBC européens, je peux citer le projet BuildingLife pour la décarbonation des bâtiments sur toute la durée de leur vie. Au total, 16 membres y ont participé et des feuilles de route de décarbonation nationales ont été élaborées dans 12 pays, dont la France, via l’Alliance HQE-GBC France.  

Le WGBC ERN a également pu participer à la révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD[2]) au niveau de l’Europe l’année dernière. Parallèlement, plus de 800 entreprises soutiennent les feuilles de route de décarbonation tout au long du cycle de vie des bâtiments, ce qui conduit à une plus grande responsabilisation et à davantage d’actions tant au niveau local qu’international.

Pourquoi le cadre règlementaire européen ne suffit-il pas ? 

Je ne pense pas que le cadre juridique européen soit insuffisant, mais plutôt que les initiatives sont soutenues à tous les niveaux et que nous sommes tous conscients de l’importance du secteur de la construction et de l’immobilier dans le contexte du changement climatique. Il suffit de penser que l’industrie du ciment produit plus d’émissions de CO2 que l’ensemble du trafic aérien ; les producteurs travaillent déjà à des solutions, les architectes et les constructeurs doivent accepter et intégrer leur responsabilité – ne pas construire pour un chiffre d’affaires rapide et une revente, mais pour une préservation de la valeur sur plusieurs générations.  

Je suis convaincu que l’efficacité énergétique, l’utilisation de matériaux durables et la rénovation des bâtiments existants permettront de réduire considérablement les émissions nocives pour le climat. Dans le même temps, l’industrie crée des leviers importants pour atteindre les objectifs climatiques et concevoir des villes vivables et résilientes pour les générations futures.  


[1] Le Forum Mondial Bâtiments et Climat a abouti, le vendredi 8 mars, à l’adoption par les représentants de 70 pays de la « Déclaration de Chaillot ». Ce texte fondateur va permettre d’avancer vers une transition rapide, juste et efficace du secteur immobilier. La « Déclaration de Chaillot » représente une avancée majeure et décisive dans la mise en œuvre opérationnelle de l’Accord de Paris. Pour la première fois, les représentants des Gouvernements se sont accordés autour d’une déclaration commune pour engager toute une chaîne de valeur de l’économie dans la transition.
Pour en savoir plus : Déclaration de Chaillot | Ministères Aménagement du territoire Transition écologique


[2]  Visant à atteindre un parc immobilier entièrement décarboné d’ici 2050, la directive révisée sur la performance énergétique des bâtiments contribue directement aux objectifs énergétiques et climatiques de l’UE. Pour en savoir plus : Energy Performance of Buildings Directive