Lyon et Düsseldorf

Trajectoires urbaines

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  • Jörg Lesser

    Professeur d’urbanisme à l’Université des sciences appliquées de Düsseldorf

  • Emmanuel Jalbert

    PDG de l’atelier d’urbanisme lyonnais In-Situ

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De Paris à Milan, en passant par Berlin, Lyon, Barcelone ou encore Düsseldorf, Covivio est présent depuis 20 ans au cœur des principales métropoles européennes. Quelles sont leurs différences ? Quels sont leurs points communs ? A quels enjeux devront-elles faire face dans les prochaines années ? Quelles sont leurs trajectoires urbaines ? Nous vous proposons, à travers une série de portraits croisés urbains, de partir à la découverte de ces villes dont Covivio et l’Europe constituent les dénominateurs communs.

Lyon – Düsseldorf : et au milieu coule une rivière

Point de rencontre entre le Rhône et la Saône pour l’une, entre la Dussel et le Rhin pour l’autre, Lyon et Düsseldorf sont deux villes qui entretiennent des rapports intimes aux fleuves qui les ont structurées. Ces cours d’eau sont même la raison d’existence de ces deux cités pluri-centenaires. Mais au fil du temps et des révolutions, urbaines comme industrielles, les deux villes ont progressivement perdu leur rapport charnel à l’eau, avant de revenir petit à petit à leurs origines fluviales.

Villes-fleuves

Lyon comme Düsseldorf sont des carrefours géographiques, marchands, industriels, démographiques, elles habitent des espaces dont l’utilité s’est définie et maintenue par leur capacité à relier et à rassembler.

Lyon est née des fleuves, elle s’est construite autour de ces grands vides fondateurs, de ces deux visages, ces deux échelles, la Saône intimiste et le Rhône imposant, comme deux parents dont elle a fait la synthèse.

EMMANUEL Jalbert
PDG de l’atelier d’urbanisme lyonnais In-Situ

Même généalogie de l’autre côté de la frontière, où Düsseldorf doit son existence à la confluence, la Dussel se jetant dans le Rhin en quatre points, façonnant la géographie de la ville.

Depuis ses origines, Düsseldorf est un lieu d’échanges, son histoire suit celle des routes commerciales et du développement industriel de la région, modelant sa géographie au gré des priorités.

JÖrg Lesser
professeur d’urbanisme à l’Université des sciences appliquées de Düsseldorf

L’une comme l’autre ont ainsi suivi les méandres de l’Histoire, notamment industrielle, de leurs pays et régions respectives, se muant en centres névralgiques pour la logistique et la production de leurs aires d’influence. Si les deux villes bien sûr ont pris des directions différentes dans leur utilisation des fleuves, liées à l’essor puis au déclin de leur tissu industriel, elles ont toutes deux été fortement marquées dans la deuxième moitié du XXème siècle par l’inexorable explosion du trafic routier.

Voir ou conduire, il faut choisir

L’autoroute urbaine… le concept fait aujourd’hui frémir ; pourtant, il est un trait caractéristique de la ville moderne d’après-guerre. À Düsseldorf comme à Lyon, l’essor de la voiture individuelle, signe extérieur de noblesse d’une classe moyenne en plein boom, et le report du trafic industriel fluvial sur les axes routiers, ont progressivement défini la ville comme un espace de circulation automobile avant tout. Et puisqu’il n’est pas question de couper dans les quartiers historiques, le flux routier s’organise naturellement le long d’un axe traversant tout désigné : les berges des fleuves. On arrive alors, à Lyon ou à Düsseldorf, à deux villes qui se coupent de leurs “vides fondateurs”, érigeant, à hauteur d’homme, des barrières de klaxons, bouchons et claquages de portières. Mais on ne chasse pas le naturel si facilement…

“Dès le milieu des années 80, Düsseldorf réagit”, relate Jörg Lesser, “avec deux chantiers colossaux : l’enterrement de l’autoroute urbaine dans un tunnel, et la transformation d’une partie du port. Ces deux opérations, menées dès le début des années 90, vont radicalement changer la physionomie de la ville. Sur le tunnel est érigé une grande promenade pour réintégrer le fleuve à la ville. L’espace, aménagé pour les cyclistes et les piétons, devient un lieu de flânerie et de rencontre, et c’est aujourd’hui l’un des centres de gravité et d’attractivité de la ville. Plus au sud, une partie du port s’est muée en un quartier d’affaires dédié aux médias, où cohabitent d’anciens bâtiments industriels réaménagés et des immeubles de luxe. Mais cette proximité avec les activités logistiques n’est pas sans poser problème.”

Lyon aussi a pris le chemin de la réconciliation. “On peut vraiment parler de retrouvailles”, suggère Emmanuel Jalbert. “Finalement, la part stérile de l’histoire des berges, utilisées pour le passage de l’autoroute urbaine et le stationnement, n’aura duré qu’une quarantaine d’années, ce qui n’est rien à l’échelle de la ville.” C’est d’abord la rive gauche du Rhône qui sera rendue aux lyonnais et à leurs déambulations en 2007. Sur 5 kilomètres, de la Tête d’Or à Gerland, adieu parking à ciel ouvert et bonjour parcs, pistes cyclables et berges aménagées pour les bipèdes. Ce sera bientôt la rive droite qui retrouvera sa fonction de respiration, avec un projet conséquent de réduction des voies de circulation et de transformation de l’espace public en promenade, tel que dévoilé par la municipalité début juin 2023. “Les fleuves redeviennent des lieux de la centralité, après avoir été des obstacles à franchir”, développe Emmanuel Jalbert. “Retrouver le contact au fleuve c’est rouvrir l’horizon sur un imaginaire qui dépasse le cadre de la ville. Surtout, dans un espace où tout est programmé et marchand, les berges offrent des lieux ouverts et libres, ce qui est fondamental. Ce sont des paysages publics, sans usages limitatifs, propices à l’imagination et à l’appropriation.”

Flex and the city

Si Lyon a réussi sa mue, c’est avant tout en cultivant la concorde.

Dès la fin des années 90, la reconquête urbaine et architecturale a marqué par sa méthode. La refonte s’est faite autour de valeurs fondatrices, et de questionnements de fond sur la ville durable, marchable, adaptée aux besoins et aux défis d’aujourd’hui. C’est une vraie vision publique qui s’est développée, grâce à une exigence initiale forte autour de ce que l’on attend de la ville de demain.

SAMUEL LINZAU
directeur général de Lyon Confluence

« La réhabilitation des 150 hectares qui ont donné naissance au quartier Confluence fonctionne, encore aujourd’hui, comme un incubateur urbain qui permet de pousser les curseurs et d’impliquer une grande quantité d’acteurs. La complexité y est abordée par l’itération et l’ouverture. C’est ce qui permet d’assurer la pertinence du projet dans le temps, une méthode qui nous enjoint à continuer de questionner les enjeux et à élargir nos modalités de réponse” ajoute Samuel Linzau.

À Düsseldorf, si enterrer l’autoroute urbaine s’est fait sans heurts, la reconfiguration du quartier du port est, encore aujourd’hui, un savant jeu de tir à la corde où personne ne veut céder un pouce de terrain. “C’est un vrai conflit d’usages et de visions”, explique Jörg Lesser. “Il y a d’un côté les intérêts de la ville, qui voit dans ces quasi-friches industrielles les seuls espaces capables d’adresser les problématiques de logement et de développement urbain, et de l’autre ceux des acteurs portuaires qui, même si les activités économiques sont en chute libre, phagocytées par les ports de Neusse ou Düsborg, tentent de conserver leur emprise géographique. Cela donne des zones complexes qui doivent gérer la coexistence du résidentiel et de l’industriel. Le gouvernement a mis en place un nouveau type de zoning, permettant justement de faciliter la transformation des espaces jouxtant des zones industrielles, comme cela a été fait avec succès à Cologne ou Hambourg.”

Espace libre ou maîtrisé, respiration ou ressource, les fleuves de Lyon et Düsseldorf continuent à être au cœur de l’identité territoriale des deux villes. “Ce qui est en jeu c’est la réappropriation d’un imaginaire de l’eau par le projet urbain”, conclut Samuel Linzau, “et dans un monde en proie aux dérèglements climatiques, l’eau sera sans nul doute au cœur de l’avenir des villes, comme à leur origine.”