Transition démographique : impacts et solutions pour les territoires

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Avec plus de 20% de la population française qui, au 1er janvier 2023, a 65 ans ou plus, se pose la question de l’adaptation des villes et de nos lieux de vie à une population vieillissante. Auteur de deux rapports interministériels sur l’adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires à la transition démographique, Luc Broussy prône des politiques publiques plus volontaristes et plus ambitieuses qui permettront de repenser nos villes et nos territoires « pour tous les âges, tous les usages et tous les partages ». Entretien.

Qu’entend-on par vieillissement de la
population ?

Luc Broussy : Pour mieux appréhender les défis que posent le vieillissement de la population, il faut prendre la question sous deux angles, démographique et sociologique.

D’un point de vue démographique, la population française vieillit évidemment. Mais qu’est-ce qu’être vieux ? Légalement, on peut percevoir l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie à partir de 60 ans. Et à l’autre bout du chemin, on sait que les centenaires, qui sont 30 000 en France aujourd’hui, seront plus de 150 000 en 2050.
Ensuite, pour comprendre les évolutions concrètes, il faut croiser les périodes dont on parle et les classes que l’on évoque. Par exemple, entre 2020 et 2030 le nombre de « 75-84 ans » va exploser : de 4 millions en 2020, ils passeront à 6 millions en 2030, soit une augmentation de 50% en 10 ans. Dans le même temps, les « 85 ans et + » seront à peine plus nombreux en 2030 qu’ils ne l’étaient en 2020. Puis, à partir de 2030, nous connaîtrons une hausse vertigineuse des « 85 ans et + », et en revanche une moindre croissance des « 75-84 ans ». A chaque décennie correspondent donc des défis différents.
L’enjeu des « 75-84 ans », qui sont des personnes fragiles mais autonomes, c’est de bénéficier de logements adaptés, d’une ville bienveillante, de mobilités spécifiques. L’enjeu des « 85 ans et + » tourne plutôt autour de la prise en charge de la perte d’autonomie.

Mais le point de vue sociologique est tout aussi important. Car, au-delà de leur nombre, les personnes âgées de demain vont voir leur profil évoluer. Les personnes qui ont 75 ans en 2020 ou 85 ans en 2030 sont les baby-boomers nés en 1945 qui avaient … 23 ans en Mai 68 ! Cette génération-là ne ressemblera pas à celle de ses parents. Ils écoutent plus les Rolling Stones que Charles Trenet et ont été biberonnés à la liberté, à l’autonomie, au consumérisme… Bref, cette nouvelle génération de seniors voudra maîtriser son destin. Elle sera plus à même d’anticiper son vieillissement. On le voit dès aujourd’hui dans le choix massif d’entrer précocement dans des résidences services seniors.

Vous avez publié un 1er rapport interministériel en 2013, puis un second en mai 2021 : comment a évolué l’appréhension du vieillissement de la population française en 8 ans ?

Longtemps la question du vieillissement a été appréhendée sous son seul prisme sanitaire et médico-social. On parlait surtout de financement de la dépendance et d’organisation de la prise en charge. Puis, au détour des années 2010, la focale s’est élargie : on a commencé à évoquer la nécessaire adaptation de la société au vieillissement. Ayant eu la chance de remettre deux rapports à deux gouvernements à 8 ans de distance, j’ai pu mesurer la prise de conscience réelle d’un certain nombre d’acteurs, notamment des élus locaux et des bailleurs sociaux.

Luc Broussy
Président – France Silver Eco

C’est-à-dire ?

Luc Broussy : Beaucoup d’élus locaux ont compris qu’à côté de la révolution numérique et de la révolution écologique, la transition démographique constituait l’autre grand défi posé à nos territoires. Je pense notamment aux Maires et aux Présidents de Métropoles ou d’EPCI (Établissement public de coopération intercommunale) qui ont compris qu’il s’agissait désormais d’avoir une lecture transversale de la question du vieillissement en mêlant logement, urbanisme, mobilités, santé, social, sports, culture, démocratie citoyenne. J’ai pour ma part mis en place un Agenda 21 de la longévité avec les Maires de Tours, Montpellier, Bourges, Périgueux ou du Grand Quevilly : une mission passionnante car elle a permis de mettre autour de la même table les adjoints concernés en leur disant que tous avaient une part de la réponse aux défis.

Les acteurs du logement et notamment les bailleurs sociaux ont eu aussi une vraie prise de conscience. Logique quand on sait l’enjeu que représente l’adaptation des logements notamment dans le parc HLM où 25% des locataires ont 65 ans et + et 50% ont plus de 50 ans. Un chiffre à rapprocher d’un autre : 40% des logements du parc social ne sont pas accessibles par ascenseur !

L’adaptation des logements est un sujet majeur selon vous ?

Luc Broussy : Tout commence par le logement car c’est une condition sine qua non de l’autonomie des personnes et de leur volonté de vieillir chez elles.

J’ai donc fait de l’adaptation des logements la pierre angulaire de mon Rapport de 2021 en proposant notamment la création de Ma Prime Adapt’, un dispositif d’aide lisible et visible pour encourager les seniors à adapter leur logement. Cette proposition a été reprise par le président de la République lors de sa campagne de 2022 et entrera en vigueur le 1er janvier 2024. De quoi permettre à la France de rattraper un peu son retard notamment par rapport à un pays comme l’Angleterre qui a lancé une telle politique dès 2008.

Mais un logement adapté, c’est aussi un logement qui demain devra utiliser toutes les innovations technologiques disponibles. Transformer une baignoire en douche, c’est bien. Mais il faudra aussi optimiser l’usage des commandes vocales, de l’IA, des détecteurs de chutes, etc…

Vous parlez aussi dans votre rapport de l’adaptation des villes au vieillissement, pouvez-vous nous en dire plus ?

Bénéficier d’un logement adapté c’est bien mais pas suffisant : encore faut-il que, lorsqu’on sort de chez soi, l’environnement urbain soit bienveillant.

Luc Broussy
Président – France Silver Eco

Si la ville est anxiogène et accidentogène, alors je resterai chez moi et le maintien à domicile deviendra rapidement une assignation à résidence. Les élus locaux ont ici une lourde responsabilité : l’adaptation de la voirie, des trottoirs, des transports publics, du mobilier urbain constituent de nouveaux défis pour eux.

Idem pour l’organisation des territoires : on ne vieillira pas de la même façon dans une grande ville, dans une petite ville, dans un territoire rural ou péri-urbain. Chaque territoire vivra le vieillissement de sa population et devra l’affronter en fonction de ses caractéristiques propres.

Et chez nos amis européens, comment le sujet du vieillissement de la population est-il appréhendé ?

Luc Broussy : Les pays européens répondent à deux caractéristiques : on trouve des pays qui vont « vieillir en grossissant » et des pays qui vont « vieillir en maigrissant ». Toute l’Europe de l’Est sans exception, Allemagne incluse, va vieillir en maigrissant : c’est-à-dire que sa population va vieillir dans le contexte d’une diminution générale de la population. D’autres pays au contraire, vont vieillir avec une population qui augmente. C’est le cas de la France, de l’Irlande, de la Grande-Bretagne et de l’Espagne. Forcément, on n’appréhende pas le sujet du vieillissement de la même façon dans ces deux contextes.


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