Bordeaux et Hambourg

Trajectoires urbaines

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  • Anouk Legendre

    Associée et cofondatrice de XTU architects

  • Samuel Depraz

    Directeur de recherche sur l'immobilier de l'ESPI

De Paris à Milan, en passant par Berlin, Lyon, Barcelone ou encore Düsseldorf, Covivio est présent depuis 20 ans au cœur des principales métropoles européennes. Quelles sont leurs différences ? Quels sont leurs points communs ? A quels enjeux devront-elles faire face dans les prochaines années ? Quelles sont leurs trajectoires urbaines ? Nous vous proposons, à travers une série de portraits croisés urbains, de partir à la découverte de ces villes dont Covivio et l’Europe constituent les dénominateurs communs.

Bordeaux et Hambourg, deux villes en pleine reconquête portuaire

Entrepôts à l’abandon, docks vétustes, anciennes friches industrielles… S’ils constituent par essence les portes d’entrée des villes qui ont la chance de côtoyer les flots, il arrive que les ports perdent de leur superbe. Ce n’est parfois que temporaire. À Bordeaux comme à Hambourg, le charme unique des quartiers portuaires refait surface. Tous les deux à proximité immédiate du centre-ville, le quartier Bacalan dans la capitale mondiale du vin et HafenCity dans la métropole allemande constituent désormais des morceaux de ville dynamiques, résolument modernes et tournés vers l’avenir.

Chacun de ces deux pôles dispose de son édifice phare. À Bordeaux, la majestueuse et ultra-moderne Cité du Vin, inaugurée en 2016, constitue une sorte de « totem d’entrée dans la ville par le fleuve », explique Anouk Legendre, associée et cofondatrice de XTU architects à l’origine de ce bâtiment. Tout en rondeur, ce dernier reflète à ses yeux le mouvement de « pivot » aussi bien de la Garonne qui lui tourne autour, que « du vin qui tourne dans le verre et qui à un moment donné, se révèle. » À Hambourg, le quartier de HafenCity incarne lui aussi une « marque de modernité », qui culmine dans l’imposante Philharmonie de l’Elbe signée Herzog & De Meuron, achevée en 2017, indique Samuel Depraz, directeur de la recherche du groupe ESPI (École supérieure des professions immobilières). « La zone de friche a été totalement reconstruite selon les standards de l’architecture iconique postmoderne. En cela, c’est assez similaire au langage architectural que l’on rencontre à Bordeaux, dans des proportions toutefois bien supérieures. »

Le reflux du passé

Malgré leur modernité affichée, ces deux projets de réhabilitation ont, chacun à leur manière, su puiser dans l’existant pour mieux se réinventer. À Bordeaux, le quartier Bacalan demeure empreint des bombardements et bunkers de l’occupation allemande. Ensuite, lorsque le port de la ville ferme en 1983, les hangars sont délaissés.

Ça a été un quartier un peu mal aimé. Aujourd’hui, on change sa culture, pour qu’il devienne demain un bon souvenir.

Anouk Legendre
associée et cofondatrice de XTU architects

L’attractivité de la Cité du Vin (391 000 visiteurs en 2022) a même fait resurgir ce passé portuaire perdu, y compris au sens littéral, puisque des bateaux se sont mis à amener des touristes dans cette zone nouvellement attractive.

À Hambourg, en revanche, le port est toujours en activité. C’est d’ailleurs le troisième d’Europe. « D’une certaine manière, le site de HafenCity (dont l’aménagement a débuté en 2007) dialogue avec cette fonction portuaire conservée en revêtant le contrepoint tertiaire. Il n’y a en effet pratiquement pas d’industrie dans ce nouveau quartier. Il y a en revanche des banques d’assurance, le siège d’un grand média national (Der Spiegel), et la fonction culturelle avec la Philharmonie de l’Elbe et l’Université, décrit Samuel Depraz. « C’est un morceau de ville qui arrive en complémentarité avec le port qui s’est un peu décalé vers l’aval.»

Un nouveau souffle

Reliés par le tram bordelais ou le métro hambourgeois, ces nouveaux quartiers ne font pas que s’ajouter au tissu urbain existant, ils remodèlent le dynamisme de l’ensemble dans lequel ils s’intègrent. Dans le chef-lieu de la région Nouvelle-Aquitaine, des écoquartiers (Ginko, Bassins à flot) se sont développés sur le site de l’ancien port, avec une forte composante verte. Tout comme la Cité du Vin elle-même, qui s’intègre dans un « écrin végétal », glisse Anouk Legendre en évoquant des réflexions sur les îlots de chaleur urbains à l’heure du réchauffement climatique. La conception bioclimatique du bâtiment, qui permet d’optimiser sa ventilation de manière naturelle, est « dans l’air du temps », ajoute-t-elle, mais « c’était aussi pour préfigurer le futur.»

Si les habitants de la ville se sont d’après elle pleinement approprié ce musée consacré à la culture du vin, l’émergence de HafenCity crée quelques remous dans la ville allemande. En 2015, au moment de la commercialisation des bâtiments (qui ont la particularité d’avoir été conçus de façon à intégrer le risque de forte inondation), les prix de l’immobilier sont 2,5 fois plus importants que la moyenne à Hambourg, indique Samuel Depraz. L’ultra-modernité de ce projet cohabite ainsi avec une « forte pauvreté intra-urbaine », explique le chercheur, qui précise « qu’ il y a encore plus de 3 500 dockers qui travaillent dans le port au quotidien. »

Entre deux eaux ?

À travers ces ambitieux projets de réhabilitation, Hambourg – et dans une moindre mesure Bordeaux, qui renforce sa position dominante sur la culture du vin à l’international – renvoie « une image d’innovation et d’insertion dans la mondialisation », poursuit le chercheur qui pointe les difficultés de ces grands projets de reconquête portuaire coincés entre la volonté de conserver une part du patrimoine local, et celle d’attirer des financements internationaux.

Au risque de diluer son identité ? Dans le quartier Bacalan, « on a forcément la réminiscence d’autres ports. Le monde des ports est presque un monde parallèle et international. À certains endroits, vous pourriez être à Yokohama ou à Hambourg », estime Anouk Legendre. Samuel Depraz ne dit pas autre chose lorsqu’il parle « d’hyperlieu » (un concept emprunté au géographe Michel Lussault) : « Finalement, être dans HafenCity, c’est être en communication directe avec New York, Singapour et tous les autres sites identiques, peut-être plus qu’avec les quartiers populaires de la ville », pourtant à deux pas. Comme si réhabiliter un espace portuaire confinait inéluctablement à demeurer entre deux eaux, mêlant celles du passé à celles du futur, et celles du local à l’appel du grand large.