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Ce qui unit les villes européennes, c’est d’abord une dimension historique liée à la force du commerce, des échanges, aux premières municipalités et au premier capitalisme. Il faut aussi citer l’héritage de l’Église, puisque les monastères ont participé à l’organisation de certaines villes, ainsi que le rôle de l’État.
Les villes deviennent au Moyen-Âge un espace politique et social différent du modèle principal de l’époque qu’est la féodalité. Une certaine autonomie politique est à l’œuvre localement, négociée avec l’Église, la noblesse ou l’État, et le rôle du maire, des guildes de marchands, des corporations devient très important. C’est un héritage qu’on retrouve encore aujourd’hui.
On constate ainsi une carte des villes remarquablement stable depuis le 14ème siècle, modifiée cependant en partie par la révolution industrielle et les guerres. Les villes européennes représentent une forme urbaine assez particulière, avec la présence d’un centre politique, d’un centre religieux et d’un centre d’espace public. Si mes étudiants veulent organiser une manifestation à Stockholm ou à Padoue, ils savent où aller : il y aura une place devant la mairie ou devant l’église. À Los Angeles, il faudrait bloquer l’autoroute. On n’est pas du tout dans le même monde urbain.
Une autre caractéristique des villes européennes est leur taille. On observe une très forte densité de villes de 300 000 à 3 millions d’habitants, ce qui renvoie à la géographie politique et commerciale du Moyen-Âge, et peu de mégapoles au-delà de 10 millions d’habitants sauf Londres, Paris et au-delà de l’Union européenne, Moscou et Istanbul.
Dans les années 1980, certains chercheurs considéraient que le modèle de la ville globale étasunienne ou chinoise allait devenir dominant, et que les villes européennes deviendraient obsolètes. Or le modèle des villes européennes est resté puissant, même s’il est en recul en Europe orientale, où les villes de plus petite taille sont en déclin. En parallèle, Londres et Paris se sont aussi beaucoup développées : les villes-mondes sont donc aussi présentes en Europe.
La périurbanisation, le vieillissement de la population et l’augmentation des inégalités remettent en cause le modèle classique de la ville européenne; ainsi que la financiarisation du capitalisme et le développement des très grandes firmes transnationales notamment liées aux données, aux plateformes, demain à l’IA. La question, c’est que met-on en place maintenant, et que va-t-il se passer dans les 20 ou 30 prochaines années ?
On peut imaginer plusieurs tests, à commencer par la réponse à la crise climatique. Est-ce que les villes européennes vont être capables de développer des actions collectives pour s’adapter de façon plus efficace que dans d’autres parties du monde ? C’est déjà un peu le cas actuellement, il y a beaucoup d’investissements sur le sujet.
Un deuxième test porte sur les formes d’ordre social et de gouvernance urbaine qui limitent le recours à la violence, qu’il s’agisse de la violence exercée par les groupes mafieux ou de la violence exercée par l’État.
Un troisième test concerne l’accroissement des inégalités : va-t-on garder en Europe des modèles relativement plus égalitaires que dans le reste du monde ?
Un quatrième test sera de voir si les villes européennes arrivent à maintenir des services de qualité : transport, santé, éducation…
Un cinquième et dernier test pourrait être la financiarisation, c’est-à-dire le financement des infrastructures (eau, énergie…) par des grandes firmes internationales. Va-t-on voir des entreprises privées décider de la construction de logements par exemple, ou est-ce que la gouvernance municipale va préserver des modèles impliquant les habitants dans les décisions qui les concernent ?
Dans le capitaliste de plateforme, il y a à la fois un aspect financier et un aspect technologique. Une plateforme comme Airbnb peut aider à optimiser l’utilisation des logements. Le problème, c’est lorsqu’un ensemble d’acteurs organise la production de logements pour le tourisme et chasse les habitants. Si vous n’avez que des Airbnb en centre-ville, vous avez moins d’enfants à l’école, moins de services publics, moins de capacités à organiser la vie collective pour les habitants. Cela peut conduire à un déclin des villes.
Sur la technologie, on peut aussi parler des données, et de l’échec de l’opération Smart City de Cisco et IBM qui voulait centraliser toutes les données via un opérateur unique. Mais beaucoup de services, comme la gestion de l’eau ou de l’énergie, sont aujourd’hui optimisés grâce aux données. On assiste actuellement à des expériences avec l’intelligence artificielle générative, qui peuvent se faire de façon très autoritaire ou plus démocratique.
Il y a toujours eu un partenariat public-privé dans les villes européennes. Il faut maintenant que les Européens arrivent à inventer un modèle de ville qui optimise un ensemble de services via les données et tout en gardant une autonomie et des formes développées de démocratie.
Cela dépend de ce qu’on entend par compétition. En tourisme, les villes européennes se débrouillent très bien. Les conditions de vie y sont bonnes, mais en termes de développement économique et d’innovation, l’Europe a un peu décroché par rapport à la Chine et aux États-Unis. Les inégalités se renforcent et la capacité à intégrer des migrants est remise en question. La recentralisation des États, notamment en termes financiers, limite les capacités d’investissement. Le risque, c’est un vieillissement assez confortable, sans dynamique et capacité à intégrer les plus précaires.
Les villes européennes vont donc devoir intégrer des innovations technologiques et sociales dans les prochaines années. Réfléchir à l’économie circulaire, à l’intégration des personnes immigrées… C’est ce qui se joue actuellement dans les villes européennes, et c’est ce qui est intéressant à observer. Auront-elles assez d’autonomie, de capacité de gouvernance et de projets politiques portés par des coalitions pour renouveler un monde urbain original à l’échelle du monde ?