« C’est une chance de pouvoir participer à la construction de la ville, d’en être un acteur. »

  • Architecture
  • Ville

Experts

Marion Waller est experte de la ville et spécialiste des questions urbaines. Urbaniste et philosophe de formation, elle a été directrice adjointe du cabinet de Jean-Louis Missika, alors lui-même adjoint à l’urbanisme et à l’architecture. Elle est ensuite devenue Conseillère au cabinet de la maire de Paris en charge de l’architecture, du patrimoine, de la transformation du paysage urbain et de la rénovation énergétique des bâtiments. Elle a pris, en février dernier, la direction du Pavillon de l’Arsenal. Rencontre avec une passionnée.

On vous dit passionnée de la fabrique de la ville. Pourquoi cette passion ?

Marion Waller : Je trouve fascinant de s’interroger sur la ville, de se plonger dans son histoire, et donc de comprendre pourquoi les villes sont ce qu’elles sont aujourd’hui. Je suis aussi fascinée par tous ces petits détails qui constituent une ville. Il suffit par exemple de regarder un petit bout de sol ou de mobilier pour reconnaître Paris.
Dans la ville, il y a aussi un côté qui nous dépasse et qui est l’âme de la ville, et qui lui donne presque un aspect sacré. Et c’est une chance de pouvoir participer à la construction de la ville, d’en être un acteur. De pouvoir en permanence réfléchir à la ville afin de pouvoir l’améliorer et contribuer à son histoire.

Quels sont selon vous les principaux enjeux émergents de la ville ?

Il y en a plusieurs. Il y a tout d’abord la question du vivant : comment transformer les bâtiments et l’espace public en intégrant le vivant au sens large, c’est-à-dire pas seulement l’être humain ? L’énergie est aussi un sujet clé. Quels impacts l’énergie a-t-elle sur les bâtiments et le paysage ? Le sujet des matériaux écologiques est aussi important, tout comme celui du collectif. Comment créer du commun dans la ville ? Comment permettre aux habitants de se retrouver ? Comment créer des solidarités dans un quartier ?

Marion Waller
Directrice générale du Pavillon de l’Arsenal

Vous avez travaillé au lancement en 2014, puis à la mise en œuvre de l’appel à projets urbains innovants « Réinventer Paris ». Après deux éditions, quel regard portez-vous sur les projets immobiliers qui en sont issus ?

Marion Waller : Ce qui me marque tout d’abord c’est à quel point les projets qui ont été présentés dans le cadre des deux appels à projets « Réinventer Paris » sont identiques aux présentations qui en ont été faites. Certains ont pu avoir des doutes et dire que les images de présentation utilisées pour les concours étaient seulement de belles images. Mais ce n’est pas le cas. Ce sont des vrais projets qui ont trouvé leur modèle économique, qui sont porteurs d’innovations concrètes, et qui permettent aujourd’hui de se dire « c’est possible ». Cela me rend très heureuse et fière ! Car c’est l’essence même de « Réinventer Paris » : montrer qu’il est possible de construire autrement.
Il faut aussi se rappeler qu’à l’époque, proposer une toiture végétalisée, des constructions en bois, du coworking ou des locaux partagés, c’était « osé », et certains se sont dit que ça n’allait pas marcher.
« Réinventer Paris », c’est une manière de donner des preuves de concept, et prouver que ça a marché, que c’est possible.
« Réinventer Paris » a servi aussi de grande expérimentation et a donné lieu à de nouvelles normalités. Par exemple, avant, les équipes projets n’étaient pas pluridisciplinaires. Il y avait d’abord le promoteur, ensuite l’architecte, ensuite l’exploitant final. Ce qu’on a fait avec « Réinventer Paris », c’est de faire qu’un projet urbain soit, dès le début, collectif et qu’il associe tout le monde. On a aussi apporté de nouveaux profils dans ces groupes projets : sociologues, historiens, associations de quartier, … Ils n’étaient pas associés au processus urbain et en sont dorénavant parties prenantes.
La question de la végétalisation et de l’utilisation des matériaux biosourcés s’est aussi généralisée. Quant à la mixité, « Réinventer Paris » a prouvé que le mélange des usages est possible : Stream Building ou Morland Mixité Capitale en sont de bons exemples.

Vous prônez une révolution dans le domaine de la construction afin de répondre aux enjeux climatiques. Pensez-vous à une ville en particulier qui en serait une illustration ?

Marion Waller : La version internationale de « Réinventer Paris », qui s’est appelée « Reinventing cites », a permis aux villes de présenter plusieurs initiatives, et on a pu observer à cette occasion que les villes sont pour la plupart confrontées aux mêmes enjeux, à savoir le réchauffement climatique - comment vivre dans des villes où il va faire très chaud – la densité, ou encore la réorganisation de l’espace public afin qu’il soit plus adapté aux piétons et plus végétalisé.
Paris est une ville très en avance sur plusieurs sujets, et notamment sur la construction biosourcée et les alternatives au béton. Sur la question de la priorité donnée à la réhabilitation plutôt qu’à la construction neuve, ou encore sur le sujet de la mixité, Paris est ici aussi en avance.

Pour penser la ville différemment faut-il former différemment les acteurs de la ville ?

lI y a déjà un enjeu de formation du grand public. Il manque en France une formation à l’architecture et à l’urbanisme : cela devrait être beaucoup plus enseigné à l’école, car nous sommes des citoyens urbains. Quant à la formation des professionnels, elle a été surtout orientée vers la construction neuve, alors qu’aujourd’hui nous sommes dans l’ère de la réhabilitation, de la restauration. Il faut donc changer l’angle des formations et apprendre à transformer des m² plutôt qu’à créer des m². Il faut aussi apprendre à créer des lieux aux usages multiples.

.

Marion Waller
Directrice générale du Pavillon de l’Arsenal

Vous avez publié un essai de philosophie environnementale, Artefacts naturels, consacré aux enjeux de la restauration écologique. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet, presque absent du débat en France ?

Marion Waller: J’ai travaillé sur la restauration écologique, c’est-à-dire comment répare-t-on des écosystèmes qui sont endommagés, suite à des incendies, ou à des épisodes de pollution. Je me suis intéressée à ce que cela signifiait, en termes philosophique, de faire de la restauration écologique. Qu’est-ce que cela implique pour l’être humain de recréer de la nature ? A quel point peut-on prétendre à créer nous-même de la nature ? Quelles limites doit-on se donner ? Il y a aussi la question éthique de la compensation : réussir à restaurer un endroit signifie-t-il que l’on peut en détruire un autre ?
Lorsque j’ai écrit cet essai, je m’intéressais avant tout à des espaces naturels. Et aujourd’hui, ces termes de « restauration » de « renaturation » sont arrivés en ville. Aujourd’hui on parle beaucoup de restaurer la nature dans la ville.

Quels sont les principaux enseignements que vous avez tiré de cet essai ?

Marion Waller: Le premier enseignement concerne le développement des espaces hybrides : il me semble important de développer massivement la nature en ville. Il ne faut pas séparer la ville en deux avec d’un côté la ville pour les humains, et de l’autre les espaces sauvages. Il faut développer de nouveaux paysages et une nouvelle hybridité en pensant la ville comme étant aussi un espace naturel où le vivant peut s’épanouir, où il peut y avoir plus de végétal, plus d’animaux et donc une vraie biodiversité. Le second enseignement concerne la création des paysages et des bâtiments : on peut être beaucoup plus imaginatifs. Il faut qu’on dépasse les frontières mentales que l’on s’est créé et qui nous font nous dire qu’une rue est forcément minérale et qu’un bâtiment est forcément synonyme de béton.

Vous avez été nommée en février dernier Directrice Générale du Pavillon de l’Arsenal. Quelle est votre ambition pour ce lieu unique dédié à la fabrique de la ville ?

Marion Waller: Le Pavillon de l’Arsenal est le centre d’urbanisme et d’architecture de Paris et du Grand Paris. Nous sommes un lieu d’exposition qui est en même temps très connecté à son écosystème.Notre vocation est de partager avec le public le plus large possible les enjeux de la ville. Nous sommes des citoyens urbains, et donc les enjeux de la ville concernent tout le monde. On cherche à partager au plus grand nombre le savoir qui est produit par les professionnels de la ville.Pour faire cela, nous proposons des expositions, nous publions des livres, nous produisons des événements. Nous cherchons à toujours mettre la focale sur les enjeux émergents en architecture, à montrer des solutions, des projets qui marchent. Le Pavillon de l’Arsenal fait aussi la part belle à l’expérimentation : nous avons notre plateforme qui s’appelle « Faire », et qui permet à une quinzaine de projets, chaque année, d’être accompagnés.

Je souhaite que le fil rouge de nos actions soit l’écologie, car c’est un sujet essentiel aujourd’hui. Et nous avons besoin des architectes, des paysagistes, etc pour nous proposer des solutions.

Les deux années à venir seront aussi particulières pour le Pavillon de l’Arsenal, car nous entamons une phase de travaux, ce qui va nous amener à faire se tenir nos expositions hors-les-murs. Ce qui va nous permettre aussi d’aller à la rencontre de nouveaux publics.
Je souhaite aussi poursuivre le rôle de mise en réseau de tous les acteurs qui travaillent sur la ville.

Pour vous, à quoi devrait ressembler la ville idéale ?

Je ne pense pas qu’il y ait de ville idéale. Ce qui est intéressant c’est justement la perpétuelle transformation. Il n’y a pas un point d’arrivée. Ce qui est fascinant dans la ville, et ce qui fait sa beauté, c’est qu’elle évolue et se réinvente jour après jour. Et c’est très précieux, il faut le préserver. Ce que j’aime dans la ville c’est le mouvement plus que le point d’arrivée.

Marion WallerDirectrice générale du Pavillon de l’Arsenal

Le Pavillon de l’Arsenal, association loi 1901, est l’espace vivant de toutes les disciplines urbaines. Attentif à la fabrication de la métropole, pionnier des architectures émergentes, le centre d’urbanisme et d’architecture de Paris et de la Métropole est un territoire d’échanges et d’apprentissage accessible à tous.

Mécène depuis 2015, Covivio soutient ce lieu unique qui met en lumière celles et ceux qui pensent et dessinent la ville.