Les grandes villes ont-elles encore un avenir ?

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L’exode rural aurait-il laissé place à l’exode urbain ? Ces derniers temps, face à l’action combinée des confinements, de l’augmentation du coût de la vie et des nombreux effets du changement climatique, l’attractivité des grandes villes est de plus en plus remise en cause. Les inconvénients de la vie urbaine (prix des loyers, bruit, pollution, chaleur) ont pris une ampleur inédite, à tel point que bon nombre de citadins n’hésitent plus à dire au revoir aux grandes agglomérations. Face à ce phénomène, comment repenser la vie en ville, et la ville elle-même, pour la rendre à nouveau désirable ? Peut-on encore imaginer une ville à la fois vivante et soutenable, où les liens sociaux seraient renforcés et les émissions de carbone significativement réduites ? Les grandes villes ont-elles encore un avenir, et si oui, lequel ?

La grande ville, entre force d’attraction et de répulsion

Si les campagnes se sont progressivement vidées au profit des villes tout au long du XXème siècle, ce n’est pas sans raison. L’attractivité des villes tient historiquement à leur qualité d’espace de brassage et d’opportunités. Tels des trous noirs attirant inexorablement à eux toutes les lumières des galaxies environnantes, les grandes villes n’ont cessé de grandir et d’absorber. “Sur les dernières décennies, les politiques d’aménagement du territoire se sont faites avec comme mot d’ordre la métropolisation, soit le fait de concentrer les humains et les activités dans des villes de plus en plus grandes”, explique Alexia Beaujeux, cofondatrice du collectif La Traverse*. “C’est une métropolisation qui se fait au nom de la croissance économique, au détriment de notre impact sur le vivant, avec des villes qui s’étalent et nécessitent toujours plus de ressources. Une vision de la croissance illimitée dans un monde pourtant limité.

Mais alors le désamour pour les grandes villes est-il réel ? En réalité, des départs, les villes en ont toujours connu. 130 000 habitants quittent Paris chaque année, mais la balance entre partants et arrivants n’a pas changé significativement ces dix dernières années. “Ce qui est nouveau, c’est que les jeunes arrivent de moins en moins à Paris”, remarque Alexandre Labasse, directeur général de l’Apur*. “S’ils ne viennent plus, ce n’est pas par manque d’attractivité mais par trop d’attractivité qui entraîne un manque de logements. On a beau en avoir créé 56 000 depuis 2014, on a dans le même temps perdu 13 000 résidences principales.” Logements vacants, résidences secondaires ou de tourisme, la ville attire toujours plus : il devient alors plus difficile d’y habiter.

S’ajoute à ce phénomène un changement de récit autour de la ville : la ville tremplin est devenue monstre écocide, accusée de tous les maux, figure de proue d’un capitalisme prédateur que rien n’arrête. Face à elle, l’alternative de la petite ville à hauteur d’homme, le circuit court, la solidarité en étendard, la vertu sur fond de gazouillis d’oiseaux. Ces oppositions binaires, Olivier Estève, directeur général délégué de Covivio les rejette* : “La ville est en fait parfaitement adaptée aux défis sociétaux et environnementaux parce qu’elle est infiniment adaptable et transformable. Il faut concevoir une ville plus apaisée et tisseuse de liens, bâtir la ville au service de tous ceux qui l’utilisent. C’est la seule échelle crédible pour opérer de vraies transformations de notre société.

La ville face au changement climatique

Trop chaude, trop bétonnée, irrespirable, énergivore, en matière environnementale la ville ne fait pas vraiment office de super-héros. Mais pourrait-elle le devenir ? “Adaptation et atténuation sont les deux piliers de l’action climatique”, détaille Alexia Beaujeux. “Il ne s’agit pas de se demander seulement comment vivre dans une ville à +4°C, mais aussi de voir comment on évite d’arriver à cette situation. Ce n’est pas tous en ville ou tous à la campagne. Il faut au contraire parier sur un meilleur maillage urbain/rural et repenser la manière dont nous concevons nos systèmes de production et nos circuits de consommation.

Pourtant, si l’urgence climatique fait de moins en moins débat, les solutions, elles, peinent à prendre leur envol. Mais ce n’est pas par manque d’envie d’après Alexandre Labasse : “Tous les acteurs sont convaincus de la nécessité de changer, mais nous avons d’une part un frein au niveau réglementation, de l’autre un fossé entre discours et actions. Cette absence de corrélation entre les ambitions partagées et les faits de la construction empêche, pour l’instant, l’accélération nécessaire de l’adaptation des villes.Olivier Estève, lui, parle même de déconnexion : “Il faut entendre les évolutions de la société et les aspirations fortes à faire émerger des modèles plus vertueux. Nous sommes très en retard niveau standards et règlementation : l’échelle du kW/m² est totalement incohérente par exemple avec l’injonction de faire davantage d’intensité d’usage. Il nous faut des outils mieux adaptés aux ambitions, et une meilleure collaboration entre acteurs privés et pouvoirs publics.

S’il serait utopique de troquer un fantasme pour un autre, passer sans transition de l’hégémonie de la grande ville à l’hymne de nos campagnes, force est de reconnaître que les grandes villes ont un avenir, mais que celui-ci reste à dessiner. 55% des humains sont aujourd’hui des citadins ; en 2050 ce sera 68%. Le phénomène urbain est inéluctable. C’est dans la ville que l’on vient trouver du travail, se former, se mélanger, échanger, rêver, créer les conditions d’un progrès à l’image de la société et de ses ambitions. Bien sûr la ville a son lot de problèmes : elle pollue, elle isole, elle détruit, elle consomme, mais des alternatives existent pour la rendre plus humaine, durable et désirable. La ville est un grand laboratoire et sans elle pas ou peu de solutions. Alors si la solution n’est pas de la fuir, il faut trouver des réponses pour l’adapter et proposer des rêves abordables. La ville doit offrir une place à tous, sans quoi elle ne remplit plus sa fonction historique d’accueil et d’émancipation. Elle doit être un modèle : la ville organique, chaotique, fourmillante mais responsable. Elle existe déjà. À nous de lui inventer un avenir meilleur.


*Propos recueillis dans le cadre de la conférence organisée par Covivio et Usbek & Rica le 13 décembre 2023 à l’occasion du Salon de l’Immobilier d’Entreprise (SIMI). Cliquez ici pour visionner la conférence en intégralité.